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De la SF dans l'espace : Wayfarers, Murderbot, Teixcalaan et La Séquence Aaardtman

Vue de côté du vaisseau Enterprise de Star Trek orbitant une immense planète rouge et ses deux satellites, sur fond d'immensité spatiale étoilée.


J'ai longtemps été très intimidée par la science fiction. Mon entrée dans les littératures de l'imaginaire s'est faite par la fantasy : Harry Potter évidemment (dur de ne pas le citer, même si J.K. est persona non grata sur ce blog, on n'aime pas les transphobes, ici), À la Croisée des Mondes, le Livre des Étoiles, Ewilan, Le Seigneur des Anneaux, Narnia, L'Assassin Royal, etc… bref, les classiques. Si je trempais l'orteil de temps en temps dans les eaux de la science-fiction, je me suis longtemps plus ou moins limitée aux dystopies YA (aucune ne m'a d'ailleurs réellement marquée, en dehors de Hunger Games. J'en ai apprécié certaines, la plupart étaient sympa mais oubliables, quand elles n'étaient pas carrément mauvaises). Je m'aventurais de loin en loin dans d'autres sous-genres, (l'uchronie, le post-apo, etc…) mais il y en a un, en particulier, que j'ai longtemps boudé, et il s'agit du space-opera. Les histoires de vaisseaux spatiaux, d'extraterrestres et de planètes hostiles, ça ne m'attirait pas des masses et même s'il m'arrivait parfois de dépasser mes préjugés pour lire des classiques du genre, j'y allais souvent avec appréhension, convaincue que cela allait être lourd, froid, rébarbatif et trop complexe pour moi (principalement parce que, dans mon cerveau de néophyte, space-opera était synonyme de "hard SF", et bon, ce n'est pas pour jouer les Captain Obvious, mais dans "hard SF", il y a "hard"). Je ne sais pas comment cette impression a pu persister aussi longtemps, d'ailleurs, parce que toutes mes incursions dans les classiques, à l'époque, ont été très positives. Asimov, Herbert, Kim Stanley Robinson, Dan Simmons, Orson Scott Card (avant que je découvre qu'il était salement homophobe… yikes!) sont tous des auteurs que j'abordais avec méfiance et que j'ai finalement dévorés et adorés (enfin, leurs livres… pas les auteurs eux-mêmes, voyons, un peu de tenue.)

Et puis, jetant un œil à mes stats (j'aime les stats 🧛) je me suis rendu compte que la science-fiction avait peu à peu pris de plus en plus de place dans mes lectures, et que les romans de space-opera, ou avec une composante spatiale, en tout cas, y occupaient une place non négligeable. Ils figurent même en tête de mes plus gros coups de coeur de ces dernières années, notamment parce que j'ai commencé à délaisser la SF (et plus généralement la littérature) écrite par des hommes blancs cisgenre et hétéro pour me tourner de plus en plus vers des ouvrages queer et/ou féministes, centrés sur des cultures non-occidentales, non-blanches, écrits par des auteur'ices concerné'es, qui utilisent le genre spéculatif pour explorer des questions de société qui leur tiennent à cœur, et proposer une autre manière de voir les choses. 

Voici donc une petite sélection non exhaustive de romans et sagas dont l'intrigue se déroule (au moins en partie) dans l'espace, qui figurent parmi mes meilleures découvertes ces dernières années, et qui sont, à mon avis, de bonnes portes d'entrée dans le genre, même quand on s'y connaît peu. (J'ai tâché d'indiquer les infos complémentaires, trigger/content warnings et représentation, mais si, pour les TW/CW, je peux plus ou moins m'appuyer sur la liste de Storygraph (merci Storygraph), pour la représentation, je me fie uniquement à ma mémoire, et mon cerveau a la capacité de rétention d'informations d'un chou de Bruxelles, donc pardon d'avance si j'oublie des choses !)


La couverture US du premier tome de Wayfarers, The long way to a small angry planet. Elle représente la silhouette d'un personnage debout sur une colline qui se détache sur un ciel étoilé.

Comment parler de space-opera sans parler de Becky Chambers ? Je crois que quiconque ayant eu ne serait-ce qu'une conversation avec moi ces 3 dernières années s'est vu'e recommander the long way to a small angry planet (L'espace d'un an, publié chez l' Atalante, en VF ) au moins une fois (voire 3. Voire 12.) Et pour cause, car c'est la série qui m'a fait découvrir tout un pan de la SF dont j'ignorais l'existence, à savoir une SF bienveillante, optimiste, chaleureuse, où l'exploration spatiale est guidée par la curiosité, le respect et la coopération plutôt que la méfiance, la violence et la soif de conquête. Ainsi, l'univers de Becky Chambers est loin d'être anthropocentré, l'humanité est même une espèce qui a une influence et un rayonnement assez limités et les autres populations que l'on trouve dans cet univers présentent toute une variété de formes, de biologies, de psychés, de cultures, de conceptions du genre, de la sexualité, de l'intimité, de la famille ou de la parentalité. Et ces différentes cultures cohabitent, avec leurs particularités, en relative harmonie, et dans le respect, même si forcément, elles ne se comprennent pas toujours.

La couverture US du quatrième et dernier tome de Wayfarers, The galaxy and the ground within. On y voit un paysage montagneux qui se découpe sur un ciel étoilé, dans des nuances de rose, violet et bleu foncé.

Chaque tome de la saga des Wayfarers suit ainsi des personnages différents qui existent et vivent leur vie dans cet univers, des personnages qui ont entre eux des liens plus ou moins ténus. À l'heure où j'écris cet article, je n'ai pas encore lu le tout dernier tome, the galaxy and the ground within, mais mon favori reste (pour l'instant) le premier, the long way to a small angry planet, dont l'intrigue se déroule à bord d'un vaisseau (le Wayfarer) et dont on apprend à connaître chaque membre d'équipage au fil du récit. Parce qu'il y a un côté found family que l'on n'a pas envie de quitter à la fin, j'ai au début été un peu dépitée de découvrir que le deuxième tome suivait d'autres personnages, mais cela n'a pas duré car Becky Chambers sait rendre tous ses protagonistes attachants et leurs relations profondes et émouvantes. Le deuxième tome suit donc principalement deux personnages que l'on croisait dans le premier tome, une IA enfermée dans un corps artificiel et une mécanicienne au passé tragique, et le troisième s'intéresse d'un peu plus près aux humain'es qui vivent à bord de gigantesques vaisseaux spatiaux, parmi lesquels, la famille du capitaine du Wayfarer (je ne sais pas encore qui l'on suit dans le quatrième tome, je me garde la surprise, mais je sais que ça va être bien ^^)


La couverture VF poche du tome 2 de Wayfarers. On y voit les silhouettes de 2 personnages découpées sur un ciel semé d'étoiles filantes sur dégradé de rouge et bleu foncé.

Ce qui rend l'univers des Wayfarers si rafraîchissant et qui en a immédiatement fait, pour moi, une référence, c'est que l'on y parle de voyage mais jamais de "conquête" spatiale. Il n'est jamais question de soumettre une planète ou sa population, ni de dominer les autres espèces, mais avant tout de respecter les cultures que l'on ne connaît pas même si elles ne s'alignent pas avec notre propre vision du monde, de coopérer, et d'accepter les autres dans toute leur diversité, ce qui signifie par exemple veiller à employer un vocabulaire adapté pour éviter d'être accidentellement insultant envers une personne ou un groupe de personnes d'une espèce différente (on ne compare pas les Aandrisk à des lézards), ou respecter sans réserve la manière dont un individu exprime son identité (de genre ou autre). Des attitudes qui semblent aller de soi mais qui, à en juger par ce qu'on voit au quotidien dans la réalité, ne sont clairement pas une évidence pour tout le monde.

En bref: Des tomes qui se suivent et ne se ressemblent pas, qui mettent en scène à chaque fois des personnages différents, mais toujours au sein d'une galaxie où l'ouverture d'esprit et la bienveillance sont de mise. Ce que traversent les personnages n'est pas toujours facile, mais l'optimisme et le respect d'autrui qui imprègnent chaque page font de chaque roman de cette série un petit cocon où l'on retourne toujours se nicher avec plaisir.

Rep: PP non-blancs, PP non-hétéro, romance F/F, PS genderfluides, relations polyamoureuses évoquées

TW/CW: Mort, guerre, violence, xénophobie, psychophobie, maladie incurable, esclavage (tome 2), maltraitance envers un enfant (tome 2) (mentions : génocide, consommation de drogues, contenu à caractère sexuel, harcèlement)




La couverture US du premier tome des Murderbot Diaries. On y voit un personnage en armure futuriste debout dans un champ d'herbes hautes. On devine des silhouettes d'arbres en arrière plan et un arc qui représente peut-être les anneaux d'une planète dans le ciel.

The Murderbot Diaries (Journal d'un AssaSynth, également publié chez l'Atalante, en français) est une série de 5 novellas et 2 romans (le tout dernier tome vient juste de sortir) dont je n'ai fait la découverte que cette année, même si j'avais le tome 1 dans ma PAL depuis des lustres. Je me suis enfin décidée à les lire uniquement parce que l'audiobook était narré par Kevin R. Free (la voix de Kevin from Desert Bluffs, pour celleux qui écouteraient Welcome to Night Vale). Meilleure décision de ma vie car non seulement la lecture de Kevin R. Free est un bonheur de bout en bout, mais je suis aussi littéralement tombée amoureuse de Murderbot, un personnage auquel je me suis énormément identifiée et dont j'ai apprécié la personnalité aussi bien que l'humour. 

Murderbot est un'e SecUnit, une sorte de super-agent de sécurité, en partie humain'e, en partie robot, qui a été attribué'e à l'équipe du Dr Mensah pour une expédition scientifique sur une planète potentiellement hostile. Techniquement, les faits et gestes des SecUnits sont limités par leur module superviseur (qui les empêche par exemple de désobéir à un ordre ou de s'éloigner trop de leur client'e. Les conséquences pour elleux peuvent être… désagréables. Voire fatales.). Murderbot (c'est le nom qu'iel se donne pour une raison que l'on apprend au fil du récit) a réussi à pirater et désactiver son module. Mais au lieu de prendre la clé des champs, faire la révolution ou tenter d'éradiquer l'humanité, iel a tout simplement continué à faire son boulot, en se contentant d'employer sa liberté de mouvement pour télécharger et consommer des centaines et des centaines d'heures de séries, films, livres etc… qui l'aident à supporter les humain'es qu'iel doit protéger sous contrat. Mais sa mission avec le Dr Mensah et son équipe va prendre une tournure inattendue.

La couverture française du premier tome de Journal d'un AssaSynth. On y voit la tête entièrement couverte d'un casque d'un personnage en armure futuriste à l'intérieur de ce qui ressemble à un vaisseau spatial aux tons bleus.
J'ai adoré Murderbot pas seulement à cause de son humour, mais aussi parce que c'est un personnage extraordinairement attachant, pétri de contradictions et plus profond qu'il n'y paraît. Les médias qu'iel absorbe constamment lui servent de clé pour comprendre et évoluer dans le monde qui l'entoure, pour déchiffrer les émotions des gens, les codes sociaux, mais aussi de refuge, de "doudou". On peut ainsi lae voir régulièrement gérer les situations un peu trop émotionnellement compliquées en se repassant un épisode de sa série préférée, par exemple. Et en tant que personne socialement anxieuse qui a également beaucoup recours à la fiction pour comprendre et gérer ses émotions, c'est quelque chose qui m'a beaucoup parlé chez le personnage. Par ailleurs, Murderbot doit également se débattre avec les conséquences d'un passé assez traumatisant, ainsi qu'une réputation peu flatteuse et déshumanisante accolée aux SecUnits. Dans les médias, les SecUnits sans module superviseur sont systématiquement dépeint'es comme des machines sanguinaires à stopper à tout prix, et dans la réalité, les SecUnits, malgré un corps et un cerveau en grande partie humains, et des émotions tout à fait réelles, sont considéré'es comme des objets, dont on peut disposer à loisir, à condition de payer (une fortune). C'est également l'occasion de faire, à travers Murderbot et son expérience mais aussi celle des différent'es humain'es qu'iel rencontre au fil des tomes, une critique acérée de la société capitaliste et du pouvoir des grandes entreprises, tout en proposant une alternative utopique par le biais de la société de Preservation, dont sont originaires le Dr Mensah et son équipe. 

La jaquette du livre audio US du tome 7 des Murderbot Diaries. On y voit un personnage en armure futuriste de dos, accroupi dans la terre, dans une posture défensive. Iel fait face à un gigantesque robot doté de plusieurs bras écartés, qui se fond dans la brume en arrière plan.
Il est donc passionnant, tout au long de cette série, de voir Murderbot s'attacher malgré iel, petit à petit, aux premier'es humain'es à lui témoigner de la compassion, lae voir commencer à faire des choix, se faire des ami'es, décider de ce qu'iel veut vraiment faire de sa vie ou pas, avec toujours un humour sarcastique et un caractère bourru, voire parfois une certaine mauvaise foi, qui me font bien rire.

Murderbot est par ailleurs entouré'e de toute une galerie de personnages plus attachants les uns que les autres, et pas forcément que des humain'es (ART est une IA attachée à un vaisseau spatial et c'est hands down mon personnage préféré de cette saga, je l'aime de tout mon coeur et chacune de ses apparitions est un petit rayon de soleil dans ma vie. Artificial Condition, le tome 2 de la saga où Murderbot fait la connaissance de ART est mon préféré (et celui de pas mal de monde, si j'en crois les commentaires que j'ai vu passer ^^) juste pour cette raison (sans compter que j'adore le petit accent traînant que lui donne Kevin R. Free dans l'audiobook.)

En bref: un personnage principal à l'humour grinçant, à la personnalité attachante et auquel il est facile de s'identifier (notamment quand on est sujet'te à l'anxiété). C'est aussi une série qui aborde des sujets assez lourds, comme la santé mentale, le libre-arbitre et les relations humaines, ou encore les ravages du capitalisme, toujours en conservant un équilibre virtuose entre sérieux et humour.

 Rep: PP agenre aroace, PS non-blancs, non-binaires, non-hétéro, relations polyamoureuses

CW/TW : Anxiété et troubles post-traumatiques, deuil, violence (y compris avec armes à feu), blessures graves (mentionnées), contenu à caractère médical, enlèvement, meurtre, colonisation, esclavage et trafic d'êtres humains



Le premier tome de Teixcalaan s'ouvre sur une dédicace de l'autrice: "This book is dedicated to anyone who has ever fallen in love with a culture that was devouring their own" et c'est de cela qu'il est question principalement dans les deux tomes de la saga : A Memory Called Empire et A Desolation Called Peace (Un Souvenir Nommé Empire et Une Désolation Nommée Paix, parus en français chez J'ai Lu dans la collection Nouveaux Millénaires)

Ce thème central de l'impérialisme dévorant est abordé à travers le personnage principal, Mahit et la contradiction qui réside au coeur de son identité: elle est née sur Lsel, une des Stations à la périphérie de l'Empire Teixcalaan qui se battent constamment pour conserver leur identité, pour empêcher leur culture d'être absorbée et assimilée. Mahit, elle, est fascinée par Teixcalaan, sa littérature, sa langue, et c'est pourquoi elle est envoyée comme ambassadrice de Lsel au coeur de l'Empire pour remplacer son prédécesseur, mort dans l'exercice de ses fonctions. Une fois sur place, elle rencontre Three Seagrass qui doit lui servir de liaison dans la capitale et avec qui elle va se lier plus étroitement que prévu.

Comme dans les autres sagas que j'ai évoquées ici, la force de cette duologie, ce sont d'abord ses personnages qui sont tous complexes, bien campés et attachants. Mahit se trouve constamment tiraillée entre les deux pans qui constituent son identité, sa culture d'origine, celle de Lsel, et celle à laquelle elle voudrait désespérément s'intégrer, celle de Teixcalaan. On découvre au fur et à mesure du récit et en même temps que Mahit, toutes les petites choses qui la séparent de cette culture qu'elle admire, toutes les raisons pour lesquelles, malgré ses connaissances et son désir de s'intégrer, elle continue de se sentir étrangère, non seulement à cause de ses convictions et d'une manière de voir le monde très différente liée aux pratiques de sa culture d'origine, mais aussi parce que les codes de Teixcalaan et la manière dont les natifs de l'Empire ont assimilé ces codes excluent implicitement celleux qui ne les partagent pas, de sorte que Mahit reste toujours, dans une certaine mesure, en marge d'une société qui partage des références culturelles et sociales auxquelles elle n'est pas initiée.


Malgré tout, il est intéressant et déchirant de voir Mahit constamment trouver du réconfort dans les codes et le symbolisme Teixcalaanli, bien plus que dans ceux de Lsel, et en même temps éprouver du ressentiment et de l'amertume à l'idée qu'elle sera toujours pour Teixcalaan une étrangère, une "barbare." Avec ceci d'insidieux que la culture Teixcalaanlie est une culture riche, millénaire mais aussi une culture conquérante dont la richesse même lui donne un attrait particulier pour les jeunes générations des territoires qu'elle annexe ou qu'elle jouxte. Elle imprègne et phagocyte les autres cultures par son rayonnement qui pave la voie à la conquête du territoire (militaire, mais pas seulement). Il est dans sa nature même de créer cette soif d'appartenance sans jamais la satisfaire, comme Mahit va très vite en faire l'expérience.

C'est un sujet complexe qui est traité avec beaucoup de nuance et de bienveillance mais sans complaisance, à travers des personnages plein de contradictions, qui ne font pas toujours les choix les plus judicieux mais qui font de leur mieux dans les circonstances qui sont les leurs. Leurs actions sont toujours motivées et crédibles, peu importe de quel côté iels se placent. Même les antagonistes sont attachant'es parce que leurs motivations sont toujours compréhensibles, même si elles se fondent parfois sur une mauvaise perception de la situation. C'est aussi un des romans qui m'ont le plus brisé le coeur ces dernières années car encore une fois, si la bienveillance est de mise (dans l'écriture, sinon dans l'univers du récit lui-même) cela ne veut pas pour autant dire que l'autrice est tendre avec ses personnages. Sans qu'on puisse qualifier le rythme de haletant, c'est tout de même un roman qui se dévore et dans lequel chaque page apporte son lot de surprises et d'émotions. 

En bref: Une duologie bourrée d'action et de suspense mais qui s'attarde aussi sur le sujet complexe de l'impérialisme, du soft power, avec intelligence et nuance, encore une fois à travers une galerie de personnages dotés d'une véritable épaisseur pour lesquels on ne peut s'empêcher d'avoir de la sympathie.

Rep: Relation F/F principale, relation M/M secondaire

CW/TW: Mort (meurtre, suicide), xénophobie, guerre, contenu à caractère médical, alcool (mentionné), régurgitation,  contenu à caractère sexuel


La couverture française de l'édition poche de la Séquence Ardtman. On y voit un personnage aux contours flous, la tête entre les mains, entouré de lasers rose et bleus sur fond violet foncé

C'est sans doute le roman le plus dense et exigeant de cette sélection, notamment parce qu'il aborde en profondeur des questions relativement pointues, sur l'identité, l'intelligence artificielle, le rapport au corps, l'incarnation (au sens purement physique et pratique) de la conscience, les limites et les idiosyncrasies que cela engendre, aussi bien chez les humain'es que chez les bots. Mais tout cela est porté par un style fluide, évocateur, puissant, et des personnages profondément attachants dans toute leur complexité et leurs contradictions. 

Dans la Séquence Aardtman, on suit donc d'un côté Asha, une bot trans qui lutte activement pour la cause des bots en s'attachant plus précisément à penser le corps bot, sa singularité et la manière de s'affranchir des normes établies par les humain'es, tout cela sur une Terre ravagée par le réchauffement climatique où l'humanité est devenue l'espèce minoritaire. Et de l'autre côté, on suit Roz, un homme trans embarqué à bord du vaisseau ari-me, parti en mission plusieurs décennies plus tôt, et qui perd peu à peu contact avec la Terre et l'humanité qui l'a envoyé dans l'espace. Le tout entrecoupé de loin en loin par des interludes historiques retraçant l'émergence des IA, puis des bots et leur intégration dans la société.

Si ces deux personnages suivent leur propre parcours, font face à leurs propres conflits internes et externes, et vont finalement être amenés à communiquer l'un avec l'autre, l'ensemble est finalement assez contemplatif. Ce n'est pas pour dire qu'il ne se passe rien, bien au contraire, mais plutôt que le récit est moins porté sur l'action que sur la réflexion, que chaque élément d'intrigue est un moyen de plonger dans la psyché des personnages, et d'explorer leurs questionnements, leurs réflexions, et la façon dont iels appréhendent les événements auxquels iels sont confrontés, ceux sur lesquels iels ont prise et ceux sur lesquels iels n'ont aucun contrôle.

La couverture de la version numérique de la Séquence Aardtman. On y voit un vaisseau spatial violet, réacteurs en marche, au dessus de l'atmosphère d'une planète (la terre?). On aperçoit une autre planète dans le coin supérieur droit de l'image.

Et c'est à la fois passionnant, stimulant tout en parvenant à être touchant et vibrant d'émotion. On parle de corps, de conscience, d'identité, d'inégalités sociales entre autres, et toutes ces réflexions sont ancrées dans l'expérience des personnages, leurs font questionner le monde qui les entoure, leurs relations aux autres et à eux-mêmes, toujours avec beaucoup de douceur et de bienveillance, même dans les passages les plus difficiles (car il y en a. J'ai pleuré plusieurs fois en lisant ce roman, et il y a plusieurs passages qui m'ont fait m'arrêter et fixer le mur pendant un moment, histoire d'absorber ce qui venait de se passer.)

Je me rends compte d'ailleurs que j'ai un peu de mal à parler de ce livre surtout parce qu'il m'en reste surtout des impressions et des questionnement que de véritables souvenirs en termes de péripéties et d'intrigue. C'est un livre plutôt introspectif, auquel je continue de penser et de réfléchir plusieurs mois après l'avoir terminé et j'ai déjà envie de le relire pour mieux m'en imprégner. Il y a énormément de choses à en tirer, énormément de matière à réflexion, en plus d'un cast de personnages profondément sympathiques, complexes et tangibles. Il faut s'accrocher un peu plus pour entrer dedans que pour les autres livres de cette liste, si on n'a pas l'habitude du genre, je pense, mais c'est un effort qui vaut vraiment le coup.

En bref: un roman engagé et audacieux au style ciselé et aux personnages complexes qui existent de leur mieux dans un monde pas toujours clément. Une narration viscérale, des réflexions percutantes et un récit qui continue de faire réfléchir longtemps après en avoir tourné la dernière page.

Rep: PP transgenres, PS gay/bi, PS non-binaires 

CW/TW: Mort, addiction, usage de drogues, agression à caractère xénophobe, pensées suicidaires, alcool, contenu à caractère médical

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