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Dread Nation #1 - Justina Ireland

1880, Maryland. Dix-sept ans plus tôt, les morts se sont relevés à la bataille de Gettysburg. Aujourd'hui, Jane McKeene est élève à l'école pour jeunes filles noires de Miss Preston, où elle apprend à combattre les zombies et se prépare à devenir garde du corps pour une riche famille blanche. Mais son caractère bien trempé et son refus de se plier aux règles que la société veut lui imposer vont lui attirer bien des ennuis.


Dans le premier tome de ce diptyque, Justina Ireland nous dépeint un contexte post-guerre de Sécession où une invasion de zombies a complètement transformé les Etats-Unis… ou peut-être pas tant que ça ? 
Car les zombies sont loin d'être les principaux antagonistes du roman. Dans cette société post-apocalyptique, même si l'esclavage a été officiellement aboli, l'épidémie et l'invasion de morts-vivants n'a fait que fournir de nouveaux prétextes aux Blancs pour hiérarchiser la société et tenter de justifier un retour à l'exploitation des personnes racisées (Noirs et Natifs américains spécifiquement ici, même s'il est fait mention en passant des personnes asiatiques). Dans ce contexte rien moins qu'encourageant, on suit donc Jane, une jeune fille de dix-sept ans, élève dans un pensionnat réservé aux jeunes filles noires qui les entraîne à être des Attendants, des gardes du corps dont le rôle est de protéger leurs employeuses (blanches, bien évidemment) des zombies (et éventuellement de prétendants un peu trop entreprenants. Mais surtout des zombies quand même). Jane est une fille qui a un caractère bien trempé, qui n'a pas sa langue dans sa poche et qui n'hésite pas à faire les choses à sa manière sans se soucier des conséquences, ce qui lui attire pas mal d'ennuis dans une société où l'on attend des Noirs qu'ils se fassent oublier et qu'ils ne s'avisent surtout pas de remettre en cause le système et son fonctionnement.
Et c'est un système qui est, bien sûr, loin d'être de leur côté. En répandant l'idée fausse selon laquelle les personnes noires sont naturellement immunisées contre le virus*, les Blancs en profitent pour les utiliser comme boucliers humains, comme chair à canon facile à sacrifier et à remplacer. Sans compter l'instrumentalisation de l'épidémie par la religion, qui tente de faire croire que le réveil des morts est un châtiment divin qui justifierait cette domination d'une partie de la population sur une autre. Les morts-vivants ont beau avoir envahi le pays, ils semblent malgré tout moins dangereux que ces rhétoriques racistes que, malheureusement, on pourrait parfaitement voir (et que l'on a vues, d'ailleurs) éclore dans la réalité (une note à la fin du roman indique d'ailleurs que les écoles pour jeunes filles décrites par l'autrice sont inspirées par des institutions qui ont réellement existé, des pensionnats où l'on séparait les enfants Natifs-américains de leurs familles soi-disant pour les "civiliser" (détruire leur culture et les exploiter étant plus proche de la réalité.)
Malgré tout, Jane n'entend pas se laisser faire sans résister. Elle est vive d'esprit et pleine de ressource, parfois sans scrupules, n'hésitant pas à enfreindre les règles, à mentir voire à tuer pour se protéger et protéger celles et ceux qu'elle aime. Le roman alterne de façon fluide entre des flashbacks de son passé à Rose Hill jusqu'à ses quatorze ans, et la narration au présent de l'intrigue principale. Tout au long du roman sont révélés des éléments de l'enfance de Jane qui progressivement éclairent ses actions présentes d'une lumière nouvelle. C'est un personnage qui est loin d'être irréprochable et auquel pourtant on s'attache très rapidement, on partage sa révolte et sa colère, tout en admirant son sang-froid, ses talents de combattante et sa présence d'esprit dans les situations critiques.
Elle est entourée d'autres personnages qui m'ont également beaucoup plu malgré les sentiments parfois contradictoires de Jane à leur égard, notamment Red Jack et Katherine. D'autant que si Jane a bien un ou deux béguins tout au long du roman, on échappe malgré tout largement à l'éternelle intrigue amoureuse (ça me semble suffisamment exceptionnel pour être noté, surtout avec un personnage principal féminin) dans ce premier tome en tout cas. Même s'il est fait mention sans aucune ambiguïté de la bisexualité de Jane et de l'aromantisme de Katherine, ce qu'il est bon de souligner. Les deux filles, d'ailleurs, ont la relation la plus forte du roman, et celle qui évolue de la manière la plus intéressante : Jane est au début constamment irritée par Katherine, par son joli minois, par son zèle et sa volonté de faire mieux que les autres, mais au fur et à mesure du récit et des épreuves que les deux filles traversent ensemble, elle se rend compte que Katherine, qui passe pour blanche avec sa peau claire et ses cheveux blonds, n'a pas non plus la partie facile et fait également face à ses propres difficultés. J'ai beaucoup aimé les voir se rapprocher petit à petit et se soutenir mutuellement dans les épreuves qu'elles traversent.

Le récit lui-même est très rythmé, avec quelques éléments prévisibles mais qui, à mon sens, n'en prennent que plus de force. Tout cela prend place dans un univers pétri d'injustices dont les personnages vont tenter de s'accommoder ou contre lesquelles iels vont tenter de lutter, chacun.e à sa manière. Les morts-vivants sont une menace constante, évidemment, mais ils sont presque des victimes plus que des ennemis. On est bien souvent renvoyés aux humain.es qu'ils étaient, et plus d'une fois Jane se retrouve confrontée à des personnes qu'elle connaissait et qui, parfois par malchance, plus souvent parce qu'elles ont été victimes du système en place, ont succombé à l'épidémie.

Bref, c'est une lecture qui ne m'a pas laissée indifférente. J'ai beaucoup aimé découvrir l'univers de Justina Ireland, j'ai été révoltée à plusieurs reprises mais le roman n'est pas pour autant dénué d'optimisme et j'ai très envie, maintenant, de me plonger dans la suite et de continuer les aventures de Jane et Katherine !

______________________

*Le roman évoque d'ailleurs explicitement les théories pseudo-scientifiques avancées par de véritables généticiens de l'époque. Ironie du sort, je lisais en parallèle How to Argue With a Racist: What Our Genes Do (and Don't) Say About Human Difference d'Adam Rutherford qui s'attaque justement à la question du racisme d'un point de vue génétique et qui mentionne ces mêmes théories en expliquant précisément en quoi elles sont fallacieuses.

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