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Le Chant des Cavalières - Jeanne Mariem Corrèze

Dans la Citadelle de Nordeau, au Nord du Royaume de Sarda, la jeune Sophie attend avec impatience de devenir Écuyère et recevoir son dragon. Tout bascule pour elle, le jour où la Matriarche de la Citadelle meurt brutalement, mettant en branle tous les organes d'un complot fomenté des decennies plus tôt. Un complot dont Sophie, bien malgré elle, pourrait être la pièce maîtresse.
Voilà un roman qui, dans l'ensemble, m'a laissée perplexe. Je n'irai pas jusqu'à dire que je ne l'ai pas aimé, car c'est loin d'être le cas. À aucun moment, je n'ai eu envie d'abandonner ma lecture, j'ai été charmée de la première à la dernière page par la plume poétique et évocatrice de Jeanne Mariem Corrèze et même le rythme plutôt posé de l'intrigue, durant laquelle on suit des personnages complexes et bien campés, à défaut d'être toujours attachants, a su me séduire. Pourtant, ce n'est pas non plus un coup de coeur, la faute à un univers somme toute assez survolé (à dos de dragon, ha ha) qui fait que l'on reste jusqu'au bout relativement extérieur aux enjeux du récit et aux motivations des personnages.

Si, tout au long du roman, on s'attarde assez longuement (pour des raisons évidentes) sur l'ordre des Cavalières, leurs rituels, leur hiérarchie, leur fonctionnement et leurs missions ainsi que les relations qu'elles entretiennent tant au niveau personnel que politique, le reste de l'univers est finalement assez peu exploré. On évoque un conflit entre le royaume de Sarda (celui des Cavalières) et les Comtés Unis de Sabès, un traité de reddition qui, pour certaines, reste en travers de la gorge, l'existence au sein du royaume de mouvances politiques aux intérêts divergents, mais rien de tout cela n'est réellement détaillé.

J'ai eu un peu de mal, d'ailleurs, à identifier ce qui me gênait vraiment, car malgré tout, l'essentiel est là: on a tous les éléments nécessaires pour comprendre de quoi il retourne, les dynamiques qui sous-tendent les actions des personnages et les conflits qui les opposent. Mais beaucoup de questions restent aussi en suspens en ce qui concerne l'histoire, la politique de Sarda ou même le passé des personnages. On suspecte, on devine, mais c'est vraiment le strict minimum qui nous est donné, ce qui, certes, pique la curiosité, mais empêche aussi de s'immerger totalement dans un univers qui refuse de se laisser dévoiler. Un choix finalement assez en adéquation avec l'ambiance générale du récit (qui alterne entre des préoccupations concrètes, très terre-à-terre, et des moments plus éthérés, mystiques, à la limite du rêve ou de la légende) mais qui crée une distance avec les personnages et l'action que l'on ne parvient jamais vraiment à dépasser.

Pour cette raison, on reste également extérieur aux motivations de beaucoup de personnages et si l'on sent bien, pendant un long moment, que des manipulations s'opèrent sous nos yeux, on met un certain temps à en entrevoir les tenants et aboutissants. Cela fonctionne jusqu'à un certain point, car encore une fois, cela maintient l'intérêt éveillé et l'on a envie d'en savoir plus, mais cela signifie aussi que, sans comprendre toujours ce qui anime les unes et les autres, on peine à se sentir véritablement impliqué'e dans les événements.

Le personnage qui m'a paru le plus intéressant, sinon le plus sympathique, de ce point de vue, est Éliane. Dès le départ, on ne sait pas trop quoi penser d'elle, car elle ne nous est présentée qu'à travers les points de vue divergents d'Acquilon et Frêne et dans la mesure où les desseins des deux vieilles cavalières restent obscurs pendant un long moment (et où l'on ne nous apprend jamais pourquoi elles ont toutes les deux des opinions si tranchées et si diamétralement opposées à son égard), il est compliqué de savoir où se situe réellement l'allégeance de la nouvelle Matriarche de Nordeau. On comprend vite, malgré tout, qu'elle est ambitieuse et prête à tout pour parvenir à ses fins, quelles qu'elles puissent être.

Enfin, toute l'intrigue se noue autour de Sophie, que l'on voit d'abord Novice, puis Écuyère, qui semble promise à un grand destin mais dont on sait dès le départ qu'elle n'est qu'un jouet entre les mains d'Acquilon, même si l'on ignore dans quel but. Bien qu'elle soit le personnage central du récit, elle reste bien souvent passive, elle subit les événements bien plus qu'elle ne les provoque, et l'on comprend rapidement qu'elle est manipulée par des forces et des volontés qui la dépassent, même lorsqu'elle a l'impression de prendre des décisions par elle-même. Elle est avant tout motivée par un désir de reconnaissance, qui n'est pas tant une envie de renommée qu'un besoin de gagner l'estime et la considération de personnes qu'elle admire. Son évolution, à ce niveau, qui la fait progressivement passer d'une "élue" fabriquée et promenée pendant longtemps par une destinée qui n'est pas complètement la sienne, à une femme indépendante et maîtresse de ses choix, est loin d'être dépourvue d'intérêt, même si je l'ai trouvée un peu trop précipitée sur la fin.

C'est, je crois, ce qui m'a le plus chiffonnée, dans l'ensemble. Le roman prend son temps pour dévoiler son univers et les enjeux de son intrigue, mais le fait paradoxalement à travers un enchaînement d'actions qui sont trop survolées pour que l'on ait le temps de s'imprégner de ce qui se passe et de se sentir concerné'e. Tout est effleuré, suggéré, laisse deviner les contours d'un récit bien plus riche que l'on ne fait qu'entrevoir, et si cela suffit à charmer et donner envie d'en savoir plus, c'est tout de même avec un sentiment de frustration et un goût d'inachevé que l'on referme le roman.

Heureusement, tout cela est plus ou moins rattrapé par la plume splendide de l'autrice. Qu'il s'agisse de décrire des lieux ou de détailler les tourments intérieurs de ses personnages, le texte ne se dépare jamais de sa poésie et de sa délicatesse, sans pour autant tomber dans l'excès, ni en devenir totalement abscons. Cela donne à l'ensemble du roman une tonalité souvent très onirique qui suffit parfois à faire oublier les faiblesses du récit.

Les jardins d'été du palais se refusaient d'abord au regard du visiteur. Buissons, haies, taillis se suivaient, se chevauchaient, menaient à leur guise les promeneurs. Comme une grande tapisserie émeraude, tendue en travers d'une scène, les troènes, les cyprès, les lauriers-sauce dissmulaient les secrets de leurs soeurs florales derrières leur rideau verdoyant. On n'imposait pas sa maraude à ce jardin-là. Il fallait se laisser guider par la gent boisée, accepter de glisser des bras du lilas à ceux de l'albizia, se soumettre aux caprices des canaux de jade, s'oublier dans la volonté des gainiers, des pivoines, des ajoncs. On n'était pas flâneur sous le couvert des chênes et des figuiers, seulement un hôte toléré par les arrangements d'oeillets, de roses et de tulipes.


Bref, c'est un roman dont j'ai apprécié le style et dont l'intrigue autant que les personnages ont tout de même maintenu mon intérêt jusqu'au bout mais qui a manqué d'un peu plus de profondeur pour me convaincre totalement. Cela reste malgré tout une belle découverte et je serai ravie de retrouver la plume de l'autrice si elle décide de publier un autre roman.

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